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« L’ère de rien », si nous apprenions à vivre dans un monde systémique ?

29°C, un RER A plein comme un oeuf, et en plus, me voilà en retard. La faute à une tache pernicieuse sur la chemise blanche que je voulais porter pour l’occasion. L’air de rien, une fort mauvaise manière d’entamer mon voyage vers le TEDxInstitutMinesTélécom 2018.

Mon RER, plein comme aux heures de pointe, file vers sa destination en donnant à ses passagers l’illusion parfaite d’être dans un sauna nordique, le froid du dehors en moins. Et ce temps à ne rien faire me donne l’opportunité de réviser ce que je sais du TED avant que la chaleur ambiante ne fasse de mon cerveau de la jelly aux couleurs improbables, dont se régalent nos voisins d’Outre-Manche : TED, acronyme pour Technology-Entertainment-Design. Derrière cet anglicisme, une manière moderne pour des intervenants passionnés de partager, depuis sa création en 1984, leur passion et leurs idées avec le monde grâce à cette invention merveilleuse qu’est Internet. Désireux de diffuser cet esprit de curiosité et cette soif d’apprendre, les créateurs du TED ont permis à leurs fans d’organiser, à leur tour, des TED, sous réserve de respecter certains critères. Des événements promus sous le nom de TEDx.

Et tandis que je remonte la rue Barrault pour rejoindre la prestigieuse école Télécom Paris Tech, spécialisée dans les sciences et technologies de l’information et des télécommunications, le thème « L’ère de rien » me trotte dans la tête : le monde nous échappe t-il, comme aiment à le croire les tenants de la vie au présent, voire à l’instant, par ailleurs adeptes de l’argumentum ad novitatem. « Et vous aussi pour qui la vie est un travail et une agitation échevelée : n’êtes vous pas fatigués de la vie ? » nous alertait déjà Friedrich NIETZSCHE deux siècles plus tôt. Comme une manière de nous inviter à nous réapproprier ce présent pour déceler les germes des futurs possibles, nous fixer des objectifs, faire des projets et, surtout, préférer à la gratification immédiate la gratification différée, qui consiste à « retarder l’obtention d’une récompense pour augmenter son montant ». Un indice révélateur de réussite sociale, autant que d’une vision personnelle…

Mais me voilà déjà dans l’amphithéâtre Thévenin, où tout va se dérouler. Et très vite, je suis repéré par Christel DE FOUCAULT, qui m’invite à prendre place aux côtés d’un monsieur que je ne reconnaît pas tout de suite : Philippe DOUALE. Un monsieur que je ne connaissais jusqu’alors qu’en vidéo, puisque son interview de Christel DE FOUCAULT lors de la sortie de son livre « Evitez les pièges des recruteurs » m’avait permis de dresser son profil. Devant moi, Renaud DE KERGORLAY, Nadia GZOUNI, Patricia WENDLING et une longue dame brune aux airs de Barbara dont j’ai lu les posts corrosifs autant que décoiffants sur LinkedIn : Delphine GARROUSTE. Un peu plus loin, je reconnais, de dos, Cécile BANON. Cette fois ci, pas de doute : la team Christel est (presque) au complet. Même Martine-Sophie KHOMIAKOFF et Laurent BIGOURD ont fait le déplacement depuis leur région d’origine.

Mais plus le temps de discuter : la conférence débute. Et le ton calme et posé de Nessrine BERRAMA n’est pas là pour nous endormir, la chaleur s’en charge, mais pour nous présenter le premier intervenant, qui vit à 350km/h : Paul-Loup CHATIN.

« Saisissez vos opportunités, ou quelqu’un vous doublera »

Si dans l’existence, il peut paraître difficile de se lancer, pour cet entrepreneur également pilote automobile qui connaît le circuit du Mans comme sa poche, les choses sont souvent plus simples sur un circuit : il suffit de mettre les gaz et d’attaquer le premier tour. Pourtant, dans le monde de la course automobile comme dans la vie, un simple détail peut faire la différence entre une victoire et un abandon après un choc à 250km/h. L’occasion de nous montrer, graphique à l’appui, qu’un podium ou un abandon se joue sur un détail. En l’espèce, une prise de poids provoquant une augmentation de 0,03g de force centrifuge. Et une perte de poids peut permettre de gagner la pole position d’une course grâce à 4 centième de secondes. La différence entre la victoire de 2014 et l’abandon de 2015. Et en automobile comme en entreprise, la défaite n’est pas uniquement personnelle, mais impacte toute l’équipe qui s’est investi dans la préparation de la course ou du projet. C’est dire si, pour cet amoureux du détail, le leitmotiv « avec un peu de chance » utilisé par une société d’assistance pour promouvoir son produit d’assurance vacances n’est pas de mise. D’ailleurs, Paul-Loup CHATIN nous livre ses quatre valeurs cardinales : l’exigence envers soi-même, qui permet de demander la même rigueur aux autres, la curiosité de réaliser un benchmark des start-up américaines pour trouver une idée adaptables en France, l’audace de jouer son va-tout en envoyant un e-mail au PDG d’un grand groupe français, mais aussi la diversification des activités pour se créer des assurances en cas d’échec, pour éviter de tout perdre. Une diversification qui va de pair avec la détection des opportunités. Tout se joue à partir d’un rien, en cette « ère de rien ». Et une vie se pilote à la même vitesse qu’une course automobile : plein gaz !


« Sortez de votre zone de confort pour réagir à votre ignorance »

Y aller plein gaz, même si vous ne connaissez pas tout ? Un principe qui a piloté le parcours professionnel de ce musicien autodidacte. La clé pour progresser : rencontrer un mentor qui vous enseigne ce que vous ignorez. L’ignorance entoure nos vies professionnelles, puisque notre monde bouge si vite que les acquis d’aujourd’hui seront obsolètes demain, et que les compétences requises demain ne sont pas connues au jour d’aujourd’hui. La clé pour subsister dans ce monde en perpétuelle mutation, est de reconnaître et accepter son ignorance pour apprendre toujours plus, et être en phase avec les besoins des entreprises. Une agilité de tous les instants, qui a servi d’axe de vie à Henri METZGER : en approfondissant ses connaissances en musique grâce à un MOOC pédagogique, il rejoint l’équipe commerciale d’OPEN CLASSROOMS. Il découvre ensuite le social selling grâce à des conférences en ligne, puis il s’intéresse à la gestion de projets. Cette « ère de rien » semble, pour lui, être une ère propice à l’improvisation : qu’importe la destination, pourvu que le voyage soit enrichissant. Et quoi de mieux, pour le piloter, que de tenir un « journal des apprentissages » inventoriant non seulement nos apprentissages récents, mais aussi de nouveaux rivages à explorer.

Et si l’« ère de rien » était un lieu de rencontre et d’échanges ?

Car aux nouveaux rivages pédagogiques s’ajoutent ceux que les hasards de la géographie ont façonné. Et à ce titre, Florent PARMENTIER va s’attacher pendant 15 minutes à nous expliquer pourquoi la Moldavie pourrait être le centre culturel de l’Europe. Une gageure a priori, pour un Etat entre la Roumanie et l’Ukraine de la taille de la Belgique, dont la population correspond à celle de la Bretagne et qui se trouve au carrefour de la culture romaine d’Occident, d’Orient et slave. Un Etat tour à tour russe, roumain ou indépendant, qui écrit en écriture latine ou en cyrillique et cela en un siècle. Du coup, ce petit état s’est construit autour de ses influences multiples, empruntant à Rome la langue latine et à Byzance et Moscou la religion orthodoxe. Un melting-pot d’influences qui pourrait en faire un interlocuteur privilégié entre l’Europe de l’est et de l’ouest, comme l’a été le Luxembourg entre la France et l’Allemagne.

Dans un premier temps, cette intervention m’a laissé perplexe : quel est le rapport entre « ère de rien » et Moldavie ? Jusqu’au moment où m’est revenu en tête cette phrase de Lao Tseu « Quand le sage, du doigt, montre les étoiles, le fou regarde le doigt ». Et si la Moldavie n’était pas à prendre au pied de la lettre ? Et s’il s’agissait non pas d’un Etat sur la carte du monde, mais d’un état d’esprit ? Le message serait alors que chacun d’entre nous, en cette « ère de rien », se doit de créer sa Moldavie à lui : un lieu où se rencontrent des personnes à la fois très différentes et très complémentaires. Une Moldavie qui pourrait alors se situer sur les réseaux sociaux, par exemple. Mais pour créer sa Moldavie, il faut d’abord larguer les amarres et quitter le port.

L’« ère de rien », une ère où tout reste à créer ?

Un départ qui ne va pas toujours de soi. La démarche requiert, au préalable, de se détacher des idées reçues et des croyances limitantes. Une vision pas si éloigné du « mythe de la caverne » dépeint par Platon. Créer des jeux vidéos, est-ce un métier ? Un privilège réservé aux hommes ? La chasse gardée des cracks de la programmation ?

C’est ce théâtre d’ombres chinoises que Lola GUILLDOU va nous dépeindre tout au long de son intervention, au travers de son parcours professionnel. De la lycéenne qui rêve de l’inaccessible étoile jusqu’à ce qu’elle se rende compte qu’elle est à sa portée, jusqu’à la jeune professionnelle qui claque la porte d’un studio pour créer des jeux qui diffusent ses propres messages, un parcours décrit non sans une pointe d’humour : « C’est en faisant qu’on devient…un faisan » lance t-elle malicieusement.

Mais derrière le masque de l’humour, le propos est sérieux : vouloir libère, faire affranchit. Et nos croyances limitantes reculent alors, pour laisser la place à des croyances dynamisantes. Et si, finalement, le monde ne nous échappait pas tant que cela ?

Une question qui restera en suspens, le temps d’un entr’acte de 30 minutes. Le temps, pour moi, de discuter de manière plus approfondie avec les personnes présentes. De dire à Patricia WENDLING : « Vive la différence », mais surtout de raconter, en long et en large, la fin de ma quête d’un nouvel emploi. D’autres ont moins de chance que moi, qui doivent accepter un travail qui leur est étranger. Une « ère de rien » qui ne débouche sur rien peut parfois être décevante. J’en ai moi même fait l’amère expérience sur le plan professionnel. Mais les lumières s’éteignent pour laisser d’autres intervenants approfondir cette thématique.

« Et si on voyait la recherche d’emploi comme un jeu ? »

Une intervention dont le témoignage fait écho à ma précédente réflexion : l’« ère de rien » peut être cruelle. Cruelle pour les « candidats de la préhistoire » : ceux qui, bien au chaud à leur poste, pensent que « le chômage, cela n’arrive qu’aux autres ». Mais elle n’est pas plus tendre envers ces jeunes étudiants qui pensent qu’ils ont encore le temps, et que d’heureuses circonstances et quelques recommandations leur permettront d’accélérer leur insertion professionnelle. « Le réseau, ce n’est plus le piston de papounet ou de mamounette » rappelle celle qui voit débarquer dans les ateliers qu’elle anime des candidats brisés, désespérés et en souffrance. Une souffrance suscitée par un marché de l’emploi qui ne fait pas de cadeau : entre les silences des recruteurs, leurs questions indiscrètes pouvant aller jusqu’au poids du candidat…pour éviter de payer deux places dans l’avion lors des voyages professionnels, les candidats seniors mis en difficultés par des recruteurs qui pourraient être leurs enfants et les juniors qui se voient opposer leur manque d’expérience, l’« ère de rien » n’est pas une ère de Bisounours. Et avec la mutuelle d’entreprise obligatoire depuis janvier 2016, qui dit que les recruteurs n’iront pas s’initier au profilage pour détecter les troubles de santé réels ou potentiels chez les candidats susceptibles d’alourdir les primes payées, faisant de la santé un critère de recrutement ? Alors bien sûr, le discours est plus grave que celui entendu auprès des précédents intervenants, mais il a le mérite de dépeindre, auprès d’une population jeune ou moins jeune un monde réel. Un monde qui leur demande « Et toi, tu fais quoi dans la vie ? ». Et dans lequel la réponse « chômeur » n’est pas socialement acceptable.

Dans un tel contexte, suggérer d’envisager la recherche d’emploi comme un jeu génère chez les candidats des réactions allant du scepticisme à l’agressivité amère. Pourtant, dans le jeu, tout devient possible à qui en a compris le but et les règles. Le but, c’est décrocher le job, pas être un bon « chercheur d’emploi ». Le but, c’est faire le deuil du vécu, aussi douloureux soit-il, et se fixer un nouvel objectif. Et l’une des règles, c’est de démystifier le tout-puissant recruteur pour le ramener à sa dimension humaine : un homme ou une femme hanté par la crainte de se tromper de candidat. Dans ces conditions, s’en faire un allié s’avère une tactique payante. Mais la clé du jeu réside dans sa répétition : celui qui y joue s’améliore au fil des parties. Et développe ses stratégies : le candidat mentira si le recruteur sort du cadre de l’entretien, le junior soulignera son ouverture et son adaptation. Et le chômeur devient « en transition professionnelle », voire « chercheur dans une des plus grandes entreprises de France ». Si l’« ère de rien » existe, alors tout est possible, tout est permis…à ceux qui se le permettent.

« Sculpter l’Intelligence Artificielle avant qu’elle ne nous sculpte »

L’« ère de rien », cette ère qui rend tout possible, c’est aussi l’ère de ces nouveautés qui fascinent ou effraient, mais font couler beaucoup d’encre, et alimentent les médias sociaux. Et ce n’est pas qu’une affaire de génération. Parmi celles dont tout le monde parle : l’intelligence artificielle. Avec une problématique : comment la rendre plus humaine ? Pour Jérôme MONCEAUX, l’une des clés est de faire refléter aux robots la vie de l’utilisateur, afin que celui ci ait le sentiment d’exister aux yeux de la machine. Et cela passe par l’interaction émotionnelle entre l’homme et la machine. Or, le vrai risque de l’intelligence artificielle émane moins de l’interaction homme/machine que du fait que la connaissance des clés de cette interaction repose sur des algorithmes élaborés par un petit nombre de personnes. Une vision qui rappelle celle de Laurent ALEXANDRE : « Le monde de l’IA n’est lisible que par les humains ayant une forte intelligence conceptuelle. Réguler le big data exige des experts multidisciplinaires, maniant à la fois l’informatique, le droit, les neurosciences… Les gens capables de gérer cette complexité politico-technologique deviennent la nouvelle aristocratie ». Pour échapper à cette aristocratie, chaque personne doit pouvoir contribuer à l’élaboration de l’intelligence artificielle. L’intelligence artificielle n’aura donc d’intérêt que si l’homme s’en trouve être le coeur et l’âme. Une vision qui, par certains aspects, rejoint celle d’une chargée de communication du groupe La Poste, grande amatrice de vision systémique…Et si L’« ère de rien » était moins l’ère des machines, et des scenarii à la « Terminator », qu’une ère d’hommes.

« Il n’y a pas de sujet inintéressant, il n’y a que des orateurs qui n’ont pas les clés pour réussir à être intéressants »

Et la grande force de l’homme, celle qui le distingue non seulement de la machine, mais aussi des autres primates, est l’usage de la parole. D’entrée, Pascal HAUMONT démontre l’impact que peut avoir la parole, en s’appuyant sur son imitation de Fabrice LUCCHINI. Un impact qui repose sur deux de nos trésors que l’intelligence artificielle envierait à l’homme si elle ressentait l’envie : notre enthousiasme et notre confiance en nous. L’enthousiasme nous permet de nous connecter à l’auditoire, notamment grâce à une arme absolue : le sourire. Quant à la conquête de la confiance en soi, elle repose sur trois éléments : la projection de la voix, le remplacement des tics de langage par…le silence et la projection du corps. Un rapport au corps qui rappelle certaines conférences sur le pouvoir des gestes.

Au terme de ce TEDxInstitutMinesTélécom 2018, au travers des témoignages de chacun des intervenants, et au delà de la diversité des thèmes abordés, une question se dessine, comme un fil rouge : et si l’« ère de rien » était, au contraire, l’ère de tout. De tous les possibles, de toutes les libertés. L’ère des relations et des interconnexions. Et tandis que je poursuis mes discussions avec les personnes présentes, une formule, lue dans un article, me revient à l’esprit : « vivre plutôt qu’avoir ». C’est cela, l’« ère de rien » : l’ère de la vie.

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Au passage : merci à Céline BECKRICH et à tous ceux qui ont été actifs sur Twitter pour relayer ce TEDx, à qui j’ai emprunté les visuels de cet article.

Pour aller plus loin

TEDxInstitutMinesTélécom

TEDxInstitutMinesTélécom 2018 sur Twitter

Qu’est-ce que le TED ?

Ecole Télécom Paristech

l’Argumentum ad novitatem

MERCI ALFRED « Le test du Marshmallow, ou comment réussir sa vie »

Patrick CUENOT « Entretien de recrutement : ces mots qui vous dévoilent »

Biographie de Renaud de KERGORLAY

Biographie de Martine-Sophie KHOMIAKOFF

Patricia WENDLING « La performance grâce à la différence. Comment aller chercher l’Autre et l’inclure dans l’organisation »

Nadia GZOUNI, coaching en développement professionnel et personnel

Delphine GARROUSTE : itinéraire d’une pro de la com’

Cécile BANON : au service du bien-être au travail et du développement personnel de chacun

Les twitts de Laurent BIGOURD

Les twitts de Céline BECKRICH

Biographie de Nessrine BERRAMA

Olivier CLERC (OUEST FRANCE) « Paul-Loup CHATIN, l’homme pressé du LM P2 »

Retrouvez Henri METZGER au Learning Technologie France en janvier 2019

Florent PARMENTIER, enseignant à Sciences Po Paris

Découvrez Lola GUILLDOU, la développeuse du dimanche

Christel DE FOUCAULT : « le grand Jeu de la Recherche d’un Job »

Jérôme MONCEAUX « L’IA et la banque : quelle relation avec mon banquier demain ? »

Pascal HAUMONT, conférencier-imitateur en communication et prise de parole en public

Laurent ALEXANDRE « La bêtise de l’IA est révolutionnaire »

Knowledge Tour Paris 2018

Olga CIESCO « Le pouvoir des gestes »

INFLUENCIA « vivre plutôt qu’avoir »

2 réflexions au sujet de « « L’ère de rien », si nous apprenions à vivre dans un monde systémique ? »

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