Collecte de données en ligne

Un chargé de Veille se fait l’avocat de l’Intelligence Economique

Développée en France depuis le rapport Martre, et à l’aube de l’arrivée de Walter Butler au sein de l’ADIT, l’Intelligence Economique semble aujourd’hui assise sur une chaise à deux pieds dans les procès d’intention qui lui sont intentés.

Plusieurs billets récents  crient haro sur la matière : fumisterie pour les uns, mirage pour d’autres. L’immonde bête serait, au mieux, mourante, au pire déjà trépassée. Il faudrait donc songer à organiser ses funérailles pour mieux reprendre le cours d’une vie normale.

Sauf qu’un communiqué du Ministère de l’Economie déclare vouloir définir les contours de la politique publique d’Intelligence Economique. Un doute vient alors à l’esprit : se peut-il que le mort soit  en vie et en bonne santé, étendant ses ailes pour mieux prendre son envol ? C’est dans le sens de son « développement foudroyant » que se prononce l’un de ses principaux promoteurs en France. Son discrédit ne serait donc qu’une opération d’influence…Une réflexion s’impose donc, en ce début d’année, afin de démêler le vrai du faux et comprendre où va l’Intelligence Economique en France.

Il convient, avant de défendre la cause, de lire l’acte d’accusation. L’Intelligence Economique ne serait qu’un concept flou et fumeux, bon à envoyer aux oubliettes (I). Un examen plus approfondi révèle pourtant  une appréhension insuffisante par ceux qui devraient l’utiliser (II).

I Un concept en apparence flou et fumeux…

Pas moins d’une dizaine de définitions tentent d’expliciter la notion : grille de lecture, ensemble d’outils et de pratiques, gestion ou maîtrise de l’information, surveillance de l’environnement…Aucune n’a rencontré l’assentiment général, y compris celle émise par l’article 33-1 de la loi LOPPSI 2, qui inquiète même les professionnels. Il semble que les attentes des doctrinaires autour de la matière divergent. Cette divergence trouve sa source dans l’appellation même de la matière, à la fois faux ami (A) et fausse piste (B).

A « faux ami »

En linguistique, le faux ami désigne deux mots « appartenant à deux langues différentes, qui ont entre eux une grande similitude de forme mais dont les significations sont différentes ».

C’est le cas du terme « intelligence » : là ou, en langue anglaise, le mot désigne également une information sensible et, par dérivation, les gens qui collectent et traitent cette information, la langue française la définit simplement comme la faculté de connaître et de comprendre. L’acception française de l’intelligence marque ainsi sa fidélité à son origine latine.

Il reste que là où la langue française représente l’Intelligence Economique sous les traits d’un savant d’un chercheur ou d’un doctrinaire, l’anglais lui donne l’apparence d’un pilote de chasse, dont la survie dépendrait de sa conscience de son environnement et de son aptitude au combat. Ce qui ne serait qu’une banale divergence de vue dans un monde d’états aux frontières étanches prend une autre dimension avec la mondialisation des économies. Nul ne peut désormais se contenter de défendre son pré carré, fût-il sémantique, surtout à l’heure où la culture anglo-saxonne gagne du terrain. Or, fonder son action en s’appuyant sur un terme susceptible de deux acceptions si différentes ne peut qu’engendrer confusion et incompréhension. Voilà qui explique la défiance des TPE et des PME envers le concept. Quiconque est dans la confusion  et l’incompréhension n’est pas dans l’action. Surtout quand le faux ami envoie vers une fausse piste.

B Fausse piste

La notion d’Economique accolée à l’Intelligence, renvoie, quant à elle, à celle d’économie, définie comme l’« ensemble de ce qui concerne la production, la répartition et la consommation des richesses et de l’activité que les hommes vivant en société déploient à cet effet ».

Le contenu de la notion, de par son étendue, donne donc le vertige : financement de l’économie, politique macroéconomique de l’Etat en matière de lutte contre le chômage et l’inflation, mondialisation et organisation des échanges internationaux… Sans omettre la partie qui intéresse la plupart des entreprises : compétitivité et relations individuelles et collectives de travail…Des champs d’intervention qui semblent fort éloignés des thématiques de l’Intelligence Economique . cette distance s’accroît encore en lisant la préface de Joël de Rosnay à l’ouvrage « Intelligence Economique, un guide pour une économie de l’intelligence » de Guy Massé et Françoise Thibaut. M. de Rosnay évoque, à cette occasion, l’« océan d’informations » dans lequel serait plongé non seulement les entreprises, mais aussi les particuliers, notamment avec l’irruption des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication). Analyse, anticipation, communauté, communication, compréhension, distance, proximité, réagir, rupture, technologie, vigilance,  vision, visibilité…La terminologie employée par les auteurs dans leur ouvrage emprunte davantage à la communication qu’à l’économie. Le terme même d’économique semble, dès lors, utilisé bien mal à propos.

La cause semble donc entendue : ces deux termes embrassent des réalités tellement diverses, variées et complexes qu’ils n’expliquent rien. Leur juxtaposition ne peut, au contraire, que prêter à confusion. Et parler d’« économie de l’intelligence » renvoie vers la notion d’intelligence, dont le caractère ambigu a été précédemment détaillé. Voilà une expression que plus on explique, moins on comprend, un peu comme ce rond-point de Raymond Devos dont les rues adjacentes sont en sens interdits…Dès lors, inutile de s’encombrer plus longtemps d’une telle abstraction…

II …mais dont la réalité est mal appréhendée en France

L’Intelligence Economique, une abstraction :  voilà qui, sans aller jusqu’à l’hilarité, susciterait l’incompréhension non seulement de nombres d’Etats européens ou non qui ont mis ce concept en pratique, mais également de grands Empires aujourd’hui disparus, pour qui l’Intelligence Economique était une réalité, quel que soit le nom qui lui était attribué alors (A). Il semble plutôt que l’Intelligence Economique souffre de l’ampleur de son champ de vision (B).

A L’Intelligence Economique dans l’espace et le temps

Contrairement à une idée reçue, l’Intelligence Economique dispose d’une histoire, qui remonte au Moyen-Âge. Si le système de  Venise est connu, son existence s’inspire partiellement de ce qui existait dans le tout-puissant Empire byzantin.

Forte de son héritage médiéval  vénitien,  L’ Italie bénéficie d’une culture de la collecte et du partage de l’information, fondement de l’Intelligence Economique. Mais la tradition n’est pas nécessaire à la mise en place d’un système d’information performant. Le cas de l’Allemagne est, à ce titre, éloquent. Voilà un jeune Etat qui a compris que, pour rivaliser avec son concurrent anglais, il devait développer une gestion des connaissances en réseaux. Cette compréhension de l’importance des réseaux pour renforcer la compétitivité est comprise même hors d’Europe par les pays du Maghreb. Un tel réseau existe également en France. Mais la culture de l’information ne trouve pas son origine uniquement dans le monde des affaires. En Russie, l’information est avant tout une affaire de militaires, marqué par l’importance des préoccupations sécuritaires et leur corollaire, le secret. L’information dans ce pays est donc centralisé au niveau étatique, l’Etat étant pourvoyeur d’informations. Il peut cependant se borner à jouer un rôle de régulateur des flux d’informations, comme c’est le cas au Japon.

Les exemples précédemment évoqués constituent la preuve qu’autant d’Etats dans des régions différentes du monde ont adopté l’Intelligence Economique le plus naturellement du monde, avec des résultats concluant. Les exportations allemandes aujourd’hui ou nipponnes, dans les années 80, en sont les exemples les plus frappant. Dès lors, la remise en cause de l’Intelligence Economique en France serait-elle une exception culturelle ?

B « Qui trop embrasse mal étreint »

La « valeur ajoutée » de l’Intelligence économique est de sélectionner et de hiérarchiser une information accessible mais surabondante afin de fournir aux entreprises des données qui leur soient utiles dans la détermination de leur stratégie d’action. Encore faut-il définir le périmètre de la recherche d’information et des sources disponibles. Or, ce périmètre englobe des réalités très différentes : technologiques, commerciales et concurrentielles, réglementaires, financières, socioculturelles… Les organigrammes des entreprises, fortement cloisonnés autour des services et des compétences, rendent difficile à des managers peu aptes à gérer des organisations en réseau l’intégration d’une discipline qui prône le décloisonnement, ressentis comme des menaces à la cohésion générale ou à des positions personnelles acquises, d’où la difficulté de détecter des métiers spécifiques à l’Intelligence Economique.

Un phénomène similaire frappe le Droit, matière aux implications multiples également boudée par les entreprises qui l’ont externalisé. Droit Public ou Privé, national, européen ou international, droit des affaires, du travail, de l’environnement ou de la propriété intellectuelle, les champs de compétences du Droit sont protéiformes, plus peut-être que ceux de l’Intelligence Economique. Pourtant, la matière tire sa légitimité de son goût pour les définitions claires. Elle génère ainsi ses métiers spécifiques, et la diversité des domaines abordés requiert une spécialisation au sein de chacun d’eux.

Une telle clarté et de telles spécialisations font encore défaut à l’Intelligence Economique, et remettent en cause sa légitimité. Enseignée par des messagers issus de l’enseignement supérieur, peu au fait des réalités matérielles de la vie d’entreprise, le message valorise une démarche macro-économique, alors que les entreprises se trouvent confrontés à des problématiques micro-économiques. Le temps de l’« honnête homme », instruit de tout, est désormais révolu.

Vers une nouvelle sémantique de l’information en entreprise

Force est de constater que l’Intelligence Economique en France manque d’un discours clair, qui lui ferme les portes de nombre d’entreprises. Cet hermétisme n’est pas sans risque, notamment celui de voir l’Intelligence Economique à la française supplantée auprès des TPE et PME-PMI. Il devient donc urgent, tel l’alchimiste médiéval, de pratiquer l’« œuvre au noir » afin de débarrasser cette pierre philosophale de notre économie de ses impuretés.

De l’Intelligence Economique au renseignement commercial

Puisque l’Intelligence Economique se donne pour mission de collecter et d’analyser des données afin de les convertir en informations, puis en connaissances exploitables par un décideur pour définir sa stratégie, il paraît opportun de substituer au terme évocateur de controverses celui de renseignement commercial. Une telle terminologie ramènerait l’Intelligence Economique française dans la logique de renseignement qui caractérise la matière dans les autres pays européens, Angleterre et Russie notamment, tout en évitant la militarisation de la matière, peu en vogue auprès des entreprises françaises. Il serait, en outre, plus aisé de développer une Intelligence Economique à la française et d’en expliquer l’intérêt aux entreprises sceptiques avec des termes spécifiquement  français, plutôt qu’avec l’ambigüe notion d’Intelligence.

Pour attirante que soit cette proposition, elle se heurte à deux obstacles.

La substitution du renseignement commercial à l’Intelligence Economique laisse sur le bord de la route deux des champs de compétences de l’Intelligence Economique : la protection du patrimoine immatériel de l’entreprise et les actions d’influence, notamment valorisées derrière la problématique de l’e-réputation. Or, l’Intelligence Economique ainsi modifié perd son caractère opérationnel  pour ne devenir qu’une matière stratégique. Bien entendu, l’obstacle est contournable en rappelant le besoin de l’Intelligence Economique française de se spécialiser. Mais cela supposerait alors de créer une nouvelle discipline qui engloberait les deux laissés pour compte, et qu’il faudrait nommer d’une appellation claire et précise. Une solution génératrice de difficultés supplémentaires, malgré son caractère apparemment simplificateur, est rarement bonne.

En outre, il s’avère que même les mots ont une réputation, n’en déplaise aux amoureux de la linguistique. Or, le mot renseignement, s’il est sémantiquement correct, véhicule derrière lui une série de clichés qui sentent le soufre : espionnage, barbouzes, écoute téléphonique, pose de micros, virus et chevaux de Troie…Il sera, dès lors, compliqué d’obtenir l’adhésion des entreprises à la notion de renseignement, à l’heure où la RSE les appelle à plus d’éthique. La réhabilitation du terme de renseignement reste toutefois possible,  mais au prix d’un travail éducatif de longue haleine incompatible avec l’urgence de la situation.

De l’Intelligence Economique aux systèmes d’informations/integrated Intelligence

Nous venons de voir que l’Intelligence Economique ne se borne pas à recueillir des données. Elle protège et diffuse également de l’information. Dès lors, le recours à l’appellation de systèmes d’informations est tentante. Sa définition correspond à ce qui est généralement attendu de l’Intelligence Economique. Elle permettrait de se débarrasser du terme d’Intelligence Economique sans perdre aucun des champs de compétence de la matière. En outre, elle permet la réalisation d’une fusion entre Marketing et Intelligence Economique, les deux poursuivant des objectifs communs, tout en gardant leur spécificité. Enfin, la traduction de ce nouveau terme par le vocable anglais integrated Intelligence permet d’exporter vers des pays non-francophones l’Intelligence Economique à la française, et de renforcer la compétitivité des entreprises françaises sur la scène internationale, donc de réaliser une intéressante opération d’influence culturelle.

Mais là encore, la suggestion n’est pas exempte de critiques.

D’abord parce que qui dit système d’informations dit informations. Or, aux yeux de certains, et malgré un monde qui change de plus en plus vite et devient de plus en plus complexe, l’information devrait être gratuite. Il en résulte une inquiétude relative au retour sur investissement d’une stratégie de veille et une inflation corrélative des offres de stages, même si l’application du cycle de l’information constitue une réponse adéquate à cette question.

Il est ensuite peu réaliste de penser que la fonction Marketing va se laisser englober dans un ensemble plus vaste sans rechigner. Nous avons vu précédemment que l’Intelligence Economique remet en cause des positions personnelles acquises. Or, le travail en France n’est pas uniquement un moyen d’assurer sa subsistance matérielle et financière. C’est aussi une affirmation de son appartenance à un collectif : corps de métier, mais aussi établissement de formation.  Ce corporatisme pourrait voir l’arrivée de nouveaux venus non issus du sérail d’un mauvais œil. En outre, le français considère, plus que ses voisins européens, le travail comme une voie d’épanouissement. Dans ces conditions, la modification d’un service Marketing existant en entreprise sous des formes plus ou moins développées par incorporation d’autres professionnels va générer des problématiques d’intégration dont la gestion peut se révéler délicate, notamment dans les entreprises au sein desquelles la stratégie vise à développer ses parts de marché. Enfin, le taux de chômage élevé en France et l’inquiétude soulevé par l’emploi précaire génère des tensions et des réflexes de défense professionnel peu compatible avec tout changement dans l’organigramme de l’entreprise.

D’ailleurs, la place des systèmes d’informations dans les organigrammes d’entreprises pose question. Les placer auprès de la Direction du Service Informatique ? Du Département Commercial ? Du Responsable R&D ? Du Directeur Administratif et Financier ? Du PDG ? Autant de choix révélateurs de la stratégie de l’entreprise et de ses besoins en informations, instructifs dans le cadre d’une veille concurrentielle.

Le débat reste ouvert.

4 réflexions au sujet de « Un chargé de Veille se fait l’avocat de l’Intelligence Economique »

  1. Pour un recruteur, le problème est le suivant:
    – M. X veut un poste dans mon entreprise en IE
    – M. X a un diplôme en IE obtenu dans l’école Y qui ne fait pas la une du Financial Times
    – M. X prétend que son travail consistera à protéger mon entreprise et son patrimoine
    – Mais M. X n’a pas de connaissances en informatique
    – Comment peut-il alors protéger mon entreprise?!
    – Il me faut donc recruter un hacker qui sait pirater des réseaux informatiques et donc qui connait le remède

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