Collecte de données en ligne

Quelle place pour les chargés de veille en entreprise ?

De nombreuses voix s’élèvent, dans les milieux spécialisés, pour déplorer le retard de la France, voire de l’Europe, en terme de mise en place de dispositifs d’Intelligence Economique. Certains vont jusqu’à souhaiter une démocratisation de l’enseignement des pratiques de la Veille et de l’Intelligence Economique au sein des établissements d’enseignement supérieur français.

Cependant, cette doléance émane t-elle de la sensibilité des structures publiques aux enjeux de l’Intelligence Economique, ou est-il également ressentie au sein des entreprises ?

Pour répondre à cette question, il importe d’évaluer l’état de l’enseignement en France de la Veille et l’Intelligence Economique et de mesurer l’écart entre les formations dispensées et les besoins des entreprises, notamment des Ressources Humaines. Un tel examen aurait également pu être effectué par des concurrents étrangers désireux de détecter les forces et les faiblesses des méthodes de gestion et de prises de décisions des entreprises françaises, notamment les PME/PMI qui représentent 97% de la population des entreprises, pour adapter leur stratégie de conquête du marché en conséquence. Quel que soit l’angle choisi, la démarche reste la même : identifier les établissements qui enseignent la Veille (I) et évaluer la portée de l’enseignement (II).

I QUI ENSEIGNE LA VEILLE ?

Deux tendances cohabitent dans l’enseignement de la Veille en France :

  1. La spécialisation en Veille, enseignée à titre exclusif (A)
  2. L’intégration de la Veille dans un ensemble plus vaste, et son enseignement en tant qu’accessoire de cet ensemble (B).

Il convient de réserver une place à part à l’Institut de Formation des Agents de Recherche (IFAR), qui délivre un certificat de capacité d’Agent de Recherche. Au sein de cette formation, 84h de cours portent sur la lutte contre l’espionnage économique. Le cas des agents de recherche est à dissocier. Leur formation porte sur l’espionnage économique et non sur la Veille ou l’Intelligence Economique, qui diffère de l’espionnage par la légalité d’obtention de données. Pourtant, le CNSP-ARP considère que tout prestataire de Veille doit être agent de recherche privé (ARP) déclaré auprès de la Préfecture du département où il exerce ses fonctions. La réponse à leur fournir paraît simple : si les agents de recherche privés souhaitent exercer les métiers de la Veille et l’Intelligence Economique, il ne tient qu’à eux de suivre la formation en Intelligence Economique qui les instruira sur ces métiers à part entière.

A L’enseignement a titre exclusif

Les établissements privés de formation à l’Intelligence Economique

1. ESLSCA – EGE

3ème cycle Stratégie d’Intelligence Economique

2. SKEMA Business School

MS Intelligence Economique et Management des Connaissances

3. EISTI

Mastère Spécialisé en Analyse Stratégique et en Intelligence Economique

Les établissements publics dispensant une formation à l’Intelligence Economique

Université d’Angers, Master 2 Intelligence Economique et Stratégies Compétitives

B l’enseignement à titre accessoire

Les établissements de formation aux métiers du commerce

INSEEC, Ecole de commerce : Master en Marketing, Communication et Stratégie Commerciale,

ESG : Ecole de commerce : Master spécialisation e-commerce, cours de veille stratégique

ESSEC : Ecole de commerce : Master Stratégie et Ingénierie des affaires internationales

Les établissements de formation aux métiers de l’information et de la communication

Université Paris VIII, Master Communication Numérique, conduite de projets et veille stratégique

Université Bordeaux III, Master Communication Publique et Politique

Institut d’Administration des Entreprises (IAE), Master Management des Systèmes d’Information

Institut des Etudes Politiques (IEP), Master Recherche en Valorisation de l’Information

Contrairement à une rumeur communément répandue, l’enseignement de la Veille se généralise. De ce fait, nombre de jeunes diplômés sont sensibilisés à cette activité, et peuvent prêcher la bonne parole dans les entreprises dans lesquelles ils occupent leurs fonctions.

Cependant, il apparaît de plus en plus fréquemment, au travers des offres d’emploi, que les entreprises considèrent la Veille comme une mission, et non une fonction, et ce afin de réduire le coût de la main d’oeuvre. Cette mission est alors dévolue aux assistantes commerciales, lorsqu’il s’agit de veille concurrentielle, aux assistantes juridiques ou aux assistantes RH pour la veille juridique. Quant au responsable technique, il lui incombera la veille technologique, si elle ne relève pas déjà de la compétence du chef de produit. Et certaines entreprises n’hésitent pas à solliciter d’un ingénieur qu’il effectue à la fois la veille technique, marché et financière. Les spécialistes de la Veille resteront perplexes quant à l’exploitation possible des résultats obtenus, tant il est vrai que ceux à qui cette mission incombe sont rebutés par son caractère chronophage. Tout au plus en déduiraient-ils qu’ils se trouvent en présence d’une entreprise dont la culture hiérarchique repose sur un strict cloisonnement des activités. Or, la cartographie des métiers de l’Intelligence Economique montre qu’entre ces différentes activités existent des « zones grises », sur lesquelles un chevauchement se constate. Le cloisonnement de la Veille induit donc que les personnes de deux services différents peuvent, sans le savoir, réaliser une veille sur le même sujet. Voilà qui accroît encore la réputation de chronophagie de l’activité tout en diminuant son ROI. Accessoirement, cela indique que la ou les personnes en charge de la stratégie d’entreprise appréhendent la complexité de leur environnement économique en simplifiant les problématiques de manière parfois arbitrairement réductrices pour les faire coïncider avec la logique formelle à laquelle ils sont habitués. La démarche RH d’une entreprise, telle qu’elle transparaît au travers des offres d’emploi qu’elle diffuse, fournit donc à son concurrent des informations sur son approche de l’environnement économique.

Reste une seconde question à envisager : comment la veille est-elle enseignée ?

II COMMENT LA VEILLE EST-ELLE ENSEIGNEE ?

En janvier 2005 a été adopté par le Haut Responsable à l’Intelligence Economique (HRIE) et le Secrétaire Général à la Défense Nationale un référentiel de formation en Intelligence Economique en cinq pôles : environnement économique, enjeux de l’Intelligence Economique, management de l’information et des connaissances, protection et défense du patrimoine immatériel et stratégies d’influence.

A L’enseignement à titre principal

Dans les établissements privés d’enseignement de l’Intelligence Economique, le référentiel sert, bien entendu, de fondement à l’enseignement dispensé, même si l’importance accordée à chaque Pôle varie d’une école à l’autre.

B L’enseignement à titre accessoire

Compte tenu de la diversité des établissements et des enseignements proposés, un passage en revue exhaustif s’avère impossible. Néanmoins, puisque la demande des entreprises est forte en prestation de veille commerciale et marketing, les formations dispensées en Ecole de Commerce retiennent l’attention :

  • Le Master 2 « Marketing, Communication et Stratégies commerciales » de l’INSEEC propose, dans sa formation transversale, un cours de psychologie du consommateur et stratégies de persuasion. Celui-ci entre dans le cadre du pôle 5 « stratégies d’influence et de contre-influence » du référentiel de formation à l’Intelligence Economique. Il en va de même du cours de Communication et marque, que suivra l’étudiant désireux d’étudier la spécialisation « Management des marques ». Bien que le détail des cours ne soit pas disponible, on se surprend à espérer que les enseignants attireront l’attention de leurs élèves sur les notions de légalité et d’éthique, clairement présente dans le référentiel de 2005. L’ignorance de ces deux éléments phare de l’influence pourrait provoquer des conséquences désastreuses sur la réputation en ligne de l’entreprise.

Quand à la spécialisation « e-business », elle propose un cours de Maîtrise des Outils liés à Internet, qui entre dans le cadre du pôle 3 « Management de l’information et des connaissances ». Il peut paraître surprenant que ce cours soit réservé aux seuls étudiants de la spécialisation « e-business », lorsqu’on sait l’importance d’Internet dans la communication quotidienne des entreprises, même lorsqu’elles ne proposent pas de vente en ligne.

  • Le Master Spécialisation « e-commerce » de l’ESG recèle lui aussi des enseignements intéressants. On y évoque la veille stratégique, les media sociaux (pôle 3 : « management de l’information et des connaissances »), la sécurité informatique (pôle 4 : « protection et défense du patrimoine informationnel et des connaissances »). Et l’école de mentionner tranquillement le métier de chargé de veille technologique comme possible débouché à l’issue de cette formation…
  • Parmi les écoles de commerce, le programme le plus intéressant émane sans doute du Master « Stratégie et Ingénierie des affaires internationales » de l’ESSEC. 15 heures de Marketing Intelligence propose le programme suivant :

– Utiliser les moteurs de recherche en mode expert. (pôle 3)

– Internet visible et invisible. (pôle 3)

– Valider et filtrer les sources. (pôle 3)

– Sécurité et confidentialité sur Internet. (pôle 4)

– Tout trouver sur une entreprise, sa stratégie, ses dirigeants, ses produits, ses tarifs, ses documents confidentiels. (pôle 3)

La connaissance dispensée ne peut être qu’une initiation sommaire. Pour information, une école spécialisée consacre environ 50h à expliquer la mise en place d’un process de veille au sein d’une entreprise. L’ensemble du management de l’information requiert environ 150 heures d’enseignement, soit 10 fois plus que le programme proposé par l’ESSEC.

De ce rapide passage en revue, il apparaît clairement que les diplômés des écoles de commerce, à la sortie de l’école, ne disposent pas des connaissances suffisantes pour mener les missions de veille que les entreprises leur confient. Il leur manque notamment, en amont, le contexte d’Intelligence Economique dans lequel s’inscrit la prestation de Veille, soit les éléments de connaissance nécessaire à l’évaluation des besoins de l’entreprise en gestion de l’Intelligence Economique, la sensibilisation du personnel aux problématiques induites par l’Intelligence Economique ou la mise en place d’un processus d’Intelligence Economique. Mais à leur décharge, certains dirigeants d’entreprise ne maîtrisent pas davantage ce contexte d’Intelligence Economique, pourtant indispensable dans l’appréciation de situation et la prise de décision stratégique.

Il est d’ailleurs révélateur que les jeunes diplômés des Ecoles de Commerce ci-dessus énumérées ne disposent d’aucune méthodologie d’analyse pour convertir ces données en informations, puis en renseignements de nature à éclairer les enjeux stratégiques auxquels leur entreprise devra se confronter. Faute d’être secondés, ils risquent l’« infobésité », ou surdose de données informatives, inexploitables à l’état brut.

A la lumière de ces constatations, l’un des enjeux proposés tant aux institutionnels (CCI, Chambres des Métiers…) qu’aux organisations professionnelles représentatives des acteurs de la Veille et de l’Intelligence Economique est de retenir l’attention des dirigeants d’entreprise sur la polyvalence des acteurs professionnels et d’informer sur l’importance et la diversité des sujets de Veille. Un véritable chantier de communication…

22 réflexions au sujet de « Quelle place pour les chargés de veille en entreprise ? »

  1. Vos textes sont intéressants, mais vous les diffusez avec une police de caractères grise, difficilement lisible sur certains écrans. Pourquoi ne pas utiliser le noir, comme tout le monde ?

    J’aime

  2. Bonjour,
    J’ai mis en lien le site du BTS Communication qui intègre dans le référentiel rénové et mis en place à la rentrée 2009, un module spécifiquement destiné à la veille. Par ailleurs la plupart des BTS tertiaires ( et d’autres) rénovés intègre la gestion de l’information qui est désormais considéré comme un champ indispensable de la formation.

    J’aime

  3. Merci pour ce recensement des formations et l’analyse qui l’accompagne !

    Il en manque cependant pas mal… Je me permets notamment de noter l’absence du master IECS de l’ICOMTEC de Poitiers, historiquement la première formation en IE. Et où C. Deschamps, A.Jdey et de nombreux autres viennent enseigner la veille (entre autres).

    Bref je me permettais juste de le signaler 🙂 Et je crois qu’il y en à une à Orléans aussi…

    Plus globalement je penses que la veille (et aussi l’IE en tant qu’état d’esprit et manière d’appréhender son environnement informationnel) pourrait (devrait ?) être enseignée dans de nombreuses autres formations. La diversification des sources d’informations vient ajouter à la complexité d’obtenir des informations de qualités et surtout utile à la prise de décision « en temps réel ».
    Et bien que la mise en place de socles théoriques me semble essentielle, la pratique reste l’un des meilleurs moyens d’appréhender au mieux la veille et ses aboutissants.

    J’aime

  4. Je reconnais que pour l’ICOMTEC, j’y ai pensé. Mais le propos de mon billet était plus de faire un état des lieux général qu’une promotion de tel ou tel formation ou une liste exhaustive qui aurait ennuyé tout le monde.

    Le souci n’est pas tant que la Veille soit enseignée ailleurs que dans les écoles spécialisées en IE. Les professionnels ont suffisament déploré l’absence de prise de conscience de l’importance de la Veille et de l’IE pour maintenant se plaindre de sa démocratisation.

    Le souci vient plutôt du fait que si la théorie et la pratique vont de pair, certaines entreprises, pour des raisons à la fois financières et de culture d’entreprise, font d’une fonction transversale nécessaire à la mise en place d’une stratégie d’entreprise une mission qu’elles confient à des personnes qui n’ont pas toujours les compétences nécessaires pour l’accomplir comme elle le devrait. Etre chargé de Veille est un métier, avec un savoir, un savoir-faire et un savoir-être, qu’il convient de défendre. Nous autres, Chargé de Veille, ne nous improvisons pas Directeur Administratif et Financier. Et si nous le faisions, nous subirions la levée de bouclier de la profession.

    Alors pourquoi se laisser dévaloriser ?

    J’aime

  5. Je suis d’accord avec toi !

    Pour l’ICOMTEC, je ne peux juste m’empêcher de prêcher pour ma paroisse 🙂

    L’acceptation de l’IE en entreprise, la question du « on recrute un veilleur qu’on forme au secteur, ou un ingénieur qu’on forme à la veille », etc. existent depuis toujours…

    Après cela dépend de la sensibilité de chacun… Par exemple, de mon côté, j’ai toujours bataillé pour qu’on ne me dénomme pas « chargé » de veille (ou d’étude). Je trouve le terme de « chargé » assez dévalorisant (on charge la mule, il récupère les tâches lourdes dont personne ne veut, etc.).

    Et si la veille est réellement transversale, alors pourquoi cela poserait-il un problème qu’un directeur financier puisse la faire ?!
    Sans méthodes, les résultats parleraient de toute manière d’eux mêmes…

    J’aime

  6. Pas de souci pour les paroisses, chacun a la sienne. Le plus important est d’en sortir de temps à autre pour aller s’enrichir dans celle des autres. Voilà pourquoi j’apprécie les contacts avec les anciens élèves des autres écoles, que ce soit l’ICOMTEC, l’EGE ou n’importe quelle autre.

    Sur ta perception du terme « chargé », je ne ressens pas le terme de la même manière. Peut-être parce que j’ai également été « chargé », au cours de mon parcours professionnel.

    Mais ta vision m’interpelle d’autant plus que je suis persuadé depuis août/septembre 2009 que les mots ont une e-réputation, au delà de leur pure signification sémantique. Il y a, à mon sens, un billet à écrire là dessus, d’ailleurs…

    Pourquoi cela poserait-il problème qu’un DAF fasse de la Veille ? En effet…en entreprise, chaque service est responsable de la gestion du budget qui lui est annuellement alloué. Cependant, seule une personne, le DAF, remplit la déclaration d’IR ou d’IS de l’entreprise. Et ce parce que si le fisc effectue un redressement suite à une erreur dans ladite déclaration, c’est quand même sur la tête du dirigeant que cela retombera, et par ricochet de celui qui a commis l’erreur. D’où mon adhésion à ton propos « sans méthode, les résultats parleraient d’eux même ». Exercer des fonctions, c’est aussi prendre des responsabilités et les assumer. Et laisser tout le monde et n’importe qui fait de la Veille en entreprise, c’est pratiquer la politique de la responsabilité diluée :

    1. Chacun est chez lui partout
    2. Tout le monde s’occupe de tout
    3. Personne n’est responsable de rien

    Cela signifie qu’en cas de raté, chacun en rejettera la responsabilité sur l’autre :

    – Le Directeur R& D : « J’avais bien vu venir cette nouvelle technologie, mais j’en ignorais la portée Marketing. Cela aurait dû être soulevé par le Directeur Commercial »

    – Le Directeur Commercial : « Ah, non, je n’y suis pour rien…Pour en évaluer la portée Marketing, encore aurait-il fallu que le DRH, chargé de la Veille Juridique, m’avertisse de ce dépôt de brevet. »

    – Le DRH : « Ah non ! On avait dit que les brevets, c’était du ressort de la R&D… »

    etc, etc, etc…

    J’aime

  7. Votre classification est intéressante, mais semble mettre en avant l’activité de veille ; j’ai quant à moi le sentiment que « connaître » est une bonne chose, mais répondre à la question « pourquoi connaître » permet d’introduire le concept de « veille stratégique » et de « préparation à la prise de décision ».

    Je rebondis tout simplement sur votre évocation des différentes facettes de la discipline de l’Intelligence Economique …

    Tout en appréciant votre flânerie annoncée, que je vais suivre néanmoins avec une assiduité estivale, je vous suggère un éclectisme novateur permettant de mettre un peu de lumière sur des enseignements et recherches modernisant et renforçant notre discipline de l’IE.

    Frédéric Marin – alfeo.org

    J’aime

  8. Took me time to read all the comments, but I really enjoyed the article. It proved to be Very helpful to me and I am sure to all the commenters here! It’s always nice when you can not only be informed, but also entertained! I’m sure you had fun writing this article.

    J’aime

Laisser un commentaire